Dans la nuit de jeudi 27 à vendredi 28 juin, l'Assemblée nationale a achevé l'examen du Projet de loi relatif à la Consommation. Frédérique Massat répond aux questions de la Gazette Ariègeoise
· L'Assemblée nationale vient de débuter l'examen du projet de loi sur la consommation, porté par le ministre Benoît Hamon. L'introduction des "class actions" à la française, des actions de groupe, en est un des points phares. Concrètement, que peuvent changer ces actions de groupe ?
Laissez-moi tout d’abord vous faire part de ma fierté d’être une députée de la majorité qui va faire entrer l’action de groupe dans la loi.
Cette avancée est évoquée depuis 1973, la première proposition de loi sur ce thème date de 1983, Jacques Chirac l’avait promis en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007 et bien c’est la majorité de Jean Marc Ayrault qui l’a fait !
Si je devais résumer l’action de groupe en quelques mots, je dirais que c’est offrir la possibilité à un grand nombre de personnes ayant subis un préjudice économique peu important de se regrouper et d’intenter une demande de réparation, ce qu’elle n’aurait pas fait individuellement. Pour prendre un exemple concret, entre 2000 et 2002, les trois opérateurs de téléphonie mobile se sont entendus pour se répartir les parts de marché et ainsi fixer les prix à un niveau artificiellement élevé. Les coupables ont été condamnés en 2005 à verser 500 millions d’euros à l’Etat. Les 20 millions de français lésés par cette entente illicite n’ont pas été dédommagés. L’action de groupe leur aurait permis de réclamer un dédommagement. Dès 2014 l'action de groupe pourrait être étendue aux préjudices de la santé et des dommages corporels.
· D'aucuns critiquent le fait que seules les associations de consommateurs représentatives puissent initier ces actions. Pourquoi ce choix ?
Il ne faut pas considérer cela comme un frein aux actions de groupe mais au contraire comme la garantie de leur succès.
Les associations de consommateurs nationales agréées seront d’abord un filtre, ce sont elles qui jugeront après avoir rencontré les consommateurs qui se sentent lésés s’il y a lieu d’initier une action de groupe. Elles seront ainsi les plus à même de rassembler les victimes et de les défendre.
Ces associations, dont je tiens à saluer le travail, de par leur expérience, leur expertise sont aussi les mieux placées pour mener ce type d’action, un consommateur seul n’en serait pas capable. De plus le fait de réserver cette procédure à 16 associations nationales évitera la constitution d’associations de circonstances et les abus visant à faire des recours sur tout et n’importe quoi.
· Les clauses abusives des contrats de consommation, mais aussi les multi-assurances, sont ciblées par le projet de loi. Demain, qu'est-ce qui va changer pour le consommateur à ce sujet ?
Sur ces deux points, le texte prévoit de vraies avancées pour le consommateur.
Concernant les clauses abusives, il s’agit de rétablir le déséquilibre qu’elles créent au détriment du consommateur. Cela se fera par deux biais : le renforcement du rôle du juge et l’extension de la suppression d’une clause abusive à l’ensemble des contrats identiques.
Sur la question des multi-assurances, deux choses vont être introduites dans la loi : des dispositions pour mieux informer les consommateurs et la création d’un délai de 14 jours pour renoncer à un contrat couvrant un risque pour lequel il est déjà assuré. Cela s’accompagne d’une obligation pour l’assureur de rembourser dans un délai de 30 jours le trop-perçu à partir de la renonciation.
· En matière de surendettement, les parlementaires ont déjà légiféré en 2004, 2005 et 2010. Que va apporter de plus la loi Hamon ?
Le surendettement est une question qui concerne en France 770 000 foyers. Hors il apparait que dans 90% des cas, les dettes contractées sont liées à des crédits à la consommation et pire que cela, dans 78% des cas, les ménages endettés ont contracté plus de 8 crédits à la consommation. Pour lutter contre ce fléau, le Gouvernement nous propose donc la création d’un registre national des crédits aux particuliers. Il recensera tous les crédits accordés aux particuliers sauf les crédits immobiliers et devra être consulté avant tout octroi de crédit. Cela permettra d’éviter à des ménages en difficulté de contracter de nouveau crédit et plonger dans la spirale du surendettement. Je voudrais aussi ajouter que la création d’un tel fichier a longtemps été annoncée puis repoussée par les précédents Gouvernements, là encore, nous avons su prendre nos responsabilités.
La loi Hamon que nous examinons actuellement est dans la continuité du projet de loi relatif à la séparation et à la régulation des activités bancaires examiné en début d’année. Il comportait notamment des mesures sur le droit au compte, la simplification de la procédure de surendettement ou le plafonnement des frais d’interventions lors de fonctionnement irrégulier d’un compte bancaire.
· Délais de paiement, négociations commerciales, volatilité des cours de certaines matières premières... Le texte soumis au débat veut également changer les relations commerciales entre professionnels ?
Oui nous voulons changer les relations commerciales entre les différents professionnels. Nous créons de nouveaux outils pour rééquilibrer les rapports de force entre producteur, transformateurs et distributeurs et entre grandes entreprises. Dans ce contexte de crise, restaurer la confiance entre les différents acteurs est un nouveau pas vers le retour de la croissance.
· Comment mieux protéger les consommateurs qui utilisent les services de vente à distance, notamment via Internet ?
Le e-commerce est un domaine en pleine croissance, entre 2009 et 2012, les ventes y ont augmenté de 50% pour atteindre en 2012 un total de 45 milliards d’euros. C’est devenu un vrai domaine d’activité qu’il faut réglementer. Le Gouvernement a donc proposé plusieurs mesures dans ce sens.
Ce sont d’abord des choses très concrètes comme l’augmentation du délai de rétractation de 7 à 14 jours pour le consommateur, la définition d’un délai de livraison de maximum de 30 jours, la protection contre certaines pratiques comme les « cases pré-cochées » qui induisent des dépenses supplémentaires ou une meilleure information précontractuelle. En parallèle pour mieux contrôler les vendeurs l’administration va voir ses pouvoirs renforcés pour mieux lutter contre les abus.
· La consommation est aussi une affaire de confiance. Face aux récentes affaires de fraude économique, face aussi à la mondialisation des échanges, comment garantir la qualité et la provenance d'un bien acheté ?
Vous avez raison de dire que notre économie souffre d’une crise de confiance entre les différents acteurs. Ce texte vise à la rétablir.
Cela passe d’abord par le renforcement des sanctions : le plafond des amendes a été considérablement augmenté et pourra aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires d’une entreprise reconnue coupable de fraude économique. A côté de cela, une nouvelle peine a été créée afin de compléter les premières : l’interdiction pour l’entreprise d’exercer l’activité commerciale concernée par la fraude.
Mais ces premières mesures seraient inutiles sans moyen humain pour détecter les fraudes, c’est pour cela qu’ont été augmentés les pouvoirs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et dela Répression des Fraudes et que des engagements seront pris sur les effectifs.
De plus le gouvernement a mis en œuvre avec les professionnels un étiquetage volontaire qui permet d’assurer la traçabilité des aliments. Cependant en la matière ce sont les règles européennes qu’il faut changer et sous la pression de plusieurs états membres, dont la France, la Commission s'est pour le moment seulement engagée à rendre un rapport sur l'étiquetage pour la fin de l'été ou le début de l'automne. Benoit Hamon en séance a manifesté sa volonté d’aller plus loin pour mettre en place un étiquetage européen pour protéger les consommateurs.
A côté de ces moyens coercitifs, il a été aussi question d’étendre aux produits manufacturés les labels géographiques, qui ne concernent actuellement que les produits alimentaires, aux produits manufacturés. Cette mesure renforce l’information des consommateurs et constitue un vrai soutien au développement économique local. Cela pourra concerner la porcelaine de Limoges, la dentelle du Puy ou la coutellerie de Thiers.
· Certains regrettent que le projet de loi n'aille pas assez loin en matière de lutte contre l'obsolescence programmée. Le texte vous paraît-il suffisant, ou y a-t-il des amendements à apporter ?
Si certains nous reprochent de ne pas aller assez loin sur cette question comme sur d’autres il nous est aussi reproché d’aller trop loin.
Concernant cette question précise, le code de la consommation prévoit déjà des dispositions pour lutter contre l’obsolescence programmée, il n’y a donc pas lieu de légiférer. Il a été choisi de renforcer les amendes et les moyens de la DGCCRF comme je vous l’ai expliqué dans la question précédente pour que la loi existante soit appliquée.
A côté de cela, des mesures sont prises pour allonger la durée de vie des produits. Le texte prévoit en effet, que le fabricant d’un produit doit proposer les pièces détachées du produit pendant une période prédéfinie. Cela permettra de soutenir le secteur de la réparation de proximité dont les emplois et les activités sont non dé localisables.
Enfin, c’est un exemple de secteur où pourra s’appliquer l’action de groupe. Si des consommateurs s’estiment victimes d’une tromperie, ils pourront attaquer le fabricant des produits dont l’obsolescence est programmée et via cette action collective réclamer la réparation du préjudice économique qu’ils auront subi.
· A contrario, d'autres craignent que les avancées en faveur des consommateurs provoquent notamment, ainsi que l'évoque le MEDEF, une "insécurité juridique" des entreprises. Qu'en pensez-vous ?
En proposant ce texte, le Gouvernement a fait un choix assumé : rompre avec certains dogmes économiques qui souhaitent voir le marché s’autoréguler seul laissant le consommateur à sa merci. Je peux concevoir que cela en déplaise à certains, notamment au MEDEF.
Mais à côté de cela, je suis persuadée que les consommateurs ne seront pas les seuls gagnants de cette réforme. Les entreprises ont au contraire tout à gagner au retour du lien de confiance qui les relie aux consommateurs mais aussi à leurs clients et fournisseurs. L’action de groupe principalement visée dans ces critiques sera il est vrai un élément dissuasif face à certaines dérives et à l’impuissance d'action du consommateur, mais c’est une bonne chose. En revanche telle qu’elle a été légiférée elle est équilibrée pour le consommateur et les entreprises.